[center]Note d’intention de Coupure
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Une image
Nous étions en retard, comme d’habitude. La 106 bleue roulait à vive allure sur les dangereuses routes gravillonneuses de l’Yonne. Pour passer le temps, et aussi pour qu’EVA ne serve pas qu’à payer à ses membres des places de cinéma, nous discutions court-métrage. Le temps manquait, la réalisation d’un court métrage ambitieux tel que Soma prenait du temps à se concrétiser. Il nous fallait absolument quelque chose de court, d’efficace et bien évidemment, de trash !
Je ne sais plus comment cela est arrivé mais à un moment donné dans cette passionnante conversation, l’image d’un agriculteur sur sa « moiss-bat » entrain de moissonner tranquillement des gens m’est apparue et provoqua chez moi une grande hilarité. Je ne savais pas encore quand ni comment, mais il fallait absolument que j’intègre cette image à un film. Au risque donc de décevoir certains, cette histoire n’est au départ qu’une simple pulsion meurtrière qu’il a bien fallu enrober afin de faire passer la pilule.
L’enrobage
Il n’y a pas eu à tergiverser longtemps sur le fond. Il m’a vite semblé que moissonner DES gens n’était guère réalisable avec nos maigres moyens. Et puis, pourquoi un homme irait moissonner des gens, un tueur fou ? Pourquoi les victimes se laisseraient-elles faire ? Des zombies peut-être? Comment ne pas verser dans le film d’horreur ? Une foule de questions sans réponses qui m’ont très vite amené à les écarter.
L’inversion des rôles me sembla plus intéressante et plus facile à mettre en œuvre. Le héros ne serait pas l’agriculteur mais sa victime. Je me suis ainsi limité à une simple personne et à un simple accident de moissonneuse. Ca n’arrive pas tous les jours me direz-vous… Je vous répondrais que… c’est pas faux. De fait, on n’utilise ces machines que lors des moissons (soit quelques semaines dans l’année), elles sont très lentes et pour ne pas être vu par l’agriculteur, il faut être allongé sur le sol ou très court sur pattes… Cela rend l’accident difficile mais si l’on respecte ces conditions à la lettre, force est de constater que le résultat est là ! J’ai moi-même connu dans ma jeunesse un chevreuil et un renard qui s’en seraient bien mordu les pattes si elles n’avaient pas été tranchées par le terrible monstre d’acier…
Reste à savoir par quel miracle un homme irait s’allonger devant une moissonneuse… La réponse pointa vite le bout de son nez via un thème qui revient de plus en plus de nos jours et qui me touche particulièrement : le retour aux sources. Cet homme voulait tout simplement ne faire qu’un avec la nature et avait juste oublié que chez nous, on aime bien la hacher menue pour en faire du pain à 1€ le kg.
Deux réserves cependant : la première étant que ce thème devenu vraiment trop récurant, souffre d’un certain manichéisme : on ne compte plus les exemples où notre vilaine société de consommation est opposée aux gentils hommes des bois… C’est peut-être une juste cause mais à force d’appuyer toujours au même endroit, il est probable que ces efforts finissent par exaspérer le spectateur et par devenir contreproductifs. Ma seconde réserve est l’accident en tant que tel : il n’apporte rien, c’est juste un gag dénué de sens qui aurait à peine sa place sur Youtube. Avouons que c’est un peu léger pour offrir à EVA une œuvre digne d’elle. Nous aurons donc intérêt à éviter ces travers avec panache pour séduire la belle. Heureusement, si l’angle d’attaque est assez saillant pour aborder le thème, nous pourrons sûrement envisager de longues nuits d’amour avec notre association préférée…
Je n’ai pas eu à chercher trop longtemps ni trop loin. Il se trouve qu’il y a quelques temps, j’avais proposé à un ami de venir m’accompagner faire du trekking dans les Alpes. Etonnamment, il avait l’air assez emballé et j’y ai cru jusqu’à ce qu’il me demande s’il y aurait possibilité de recharger son portable… Je partis donc seul et dus abandonner au bout de quelques jours à cause du mauvais temps et de mes vêtements mouillés. Cette expérience me permis de définir en la matière trois catégories de personnes et ce bas monde :
-le sédentaire lambda occupé à la préservation et à l’amélioration de son propre confort au détriment de celui des autres.
-le fameux homme des bois qui se fait exterminer par le sédentaire ci-dessus
-la couille molle qui se situe entre les deux. C’est un sédentaire qui se rêve homme des bois ou aventurier. Celui qui veut le beurre et l’argent du beurre, le pain de mie sans la croute, traverser des territoires hostiles le jour et se vautrer dans un hôtel X étoiles la nuit, partir une semaine en Afrique aider des petits noirs histoire d’exploser son quota d’amour propre puis revenir bien au chaud à la maison faire la leçon à ses proches.
Faisant moi-même parti de la dernière catégorie, j’ai depuis longtemps remarqué qu’elle était trop souvent oubliée dans le cinéma actuel et que quand elle ne l’était pas, tout se finissait en happy-end. Qu’à cela ne tienne, réparons cette erreur ! Rappelons au monde que le temps des demi-mesures est révolu ! Rappelons qu’on n’a rien sans rien ! Montrons que ceux qui l’oublient finissent par se planter ! Faisons cesser toute hypocrisie ! Pétons dans la soie ou chions dans la boue mais choisissons et assumons !
L’originalité de ce film viendra du fait que celui qui sera brocardé ne sera pas comme d’habitude, l’occidental moyen avec ses deux voitures et sa centrale nucléaire mais celui qui se rend compte de l’absurdité de la situation et qui ne se donne pas tous les moyens pour la changer ou pour changer radicalement son comportement. Ci-après se trouve donc un petit résumé où tout ce blabla a été transposé avec plus ou moins de succès.
Adieu veaux, vaches, bouchons.
Jean-Eudes est un jeune homme entre 20 et 30 ans. Il travaille quelque part dans une grande ville. Sa vie se résume comme celle de beaucoup à « métro, boulot, dodo ». Comme tout le monde, il vit avec un écran plat, un téléphone portable et un ipod. Précisons cependant qu’il ne s’agit pas là de sombrer dans la caricature, Jean-Eudes n’est pas un geek, il se laisse juste porter par l’air du temps.
Notre héros vit donc son petit train-train quotidien sans trop se poser de questions jusqu’au jour où une série d’événements anodins allaient changer sa vie à jamais. On n’entrera pas ici dans les détails mais l’on peut aisément imaginer une multitude de petits désagréments quotidiens, intrinsèques à la vie sédentaire du parfait citadin. Bref, toujours est-il qu’à un moment donné, ce sera la goute d’eau. Jean-Eudes ne supportera plus ce vilain monde matérialiste et son portable qui n’a plus de batterie. Se sentant un peu fou-fou, il lâchera tout, partira de son boulot sans même le signaler à son chef, prendra la route vers les grands espaces, le ciel bleu et les verts pâturages, il partira vers… l’Yonne, tout simplement !
La vision de nos magnifiques paysages champêtres le comblera d’émoi, le bruissement du vent sur les hauteurs de Charny lui fera oublier tout les bruits de klaxon qui l’ont agressé dans de sa triste vie au milieu des pots d’échappement. C’est ainsi qu’avec la larme à l’œil et le cœur gros comme ça, que Jean Eudes prendra un chemin de terre au détour d’une sinueuse départementale. Celui-ci le mènera au milieu des champs, des bois et des petits oiseaux.
Notre sujet descend de la voiture. Il est toujours aussi émerveillé. Comment avait-il put passer à coté de cela ? A défaut d’amour, ne pourrait-il pas juste vivre d’eau fraiche ? Et si pour une fois il ne pensait pas au lendemain? Tout en réfléchissant, Jean-Eudes avance dans le champ en face de lui. Tiens, s’il reproduisait le cliché du brave paysan allongé contre un arbre, un épi de blé au coin de la bouche. Il n’y a pas d’arbre, mais des épis de blés il y en a !
Il est bien, allongé les mains derrière la tète, mais… c’est un peu ennuyeux tout ce calme et le chant des oiseaux devient vite répétitif. Un peu honteux de retomber dans les dérives qu’il exécrait quelques heures auparavant, il hésite, puis fouille dans sa poche, en sort un baladeur mp3 de dernière génération et met ses écouteurs. La musique artificielle l’enveloppe. Jean-Eudes ferme les yeux longuement.
Fin n°1 : Jean-Eudes ne se rend compte de rien et une moissonneuse lui passe tranquillement dessus.
Fin n°2 : Il sort subitement de sa léthargie car le sol vibre ! Il se redresse, et voit passer devant lui, sur le chemin, un tracteur équipé d’une remorque. Soulagé, il se ré-allonge et referme les yeux. Il a à peine le temps de les fermer que le rabatteur à griffe d’une moissonneuse-batteuse les lui taquine.
Eclaircissements
Afin de ne pas sombrer dans une critique ouverte sur la société de consommation, ne serait-ce que parce qu’elle serait facile et redondante, il est important que les « petits désagréments » de Jean-Eudes ne soient que… des petits désagréments. Ils doivent faire sourire et n’avoir que peu de gravité pris un par un. Le but étant que selon sa sensibilité, le spectateur puisse se dire soit « C’est vrai qu’on vit dans un monde matérialiste de merde, révolution ! », soit « Mouais, rien de bien méchant, c’est pas ça qui va m’empêcher de m’acheter un Hummer… »
L’écoutage de musique final est d’une importance fondamentale. D’un point de vue pratique, c’est d’abord ce qui permet à la moissonneuse d’approcher sans que Jean-Eudes ne s’en rende compte. Mais c’est aussi et surtout L’erreur de Jean-Eudes, la demi-mesure qui va le mener à sa perte. C’est ce qui fait de lui une couille molle.
La première fin est à mon sens la plus belle et la plus simple mais c’est aussi la plus attendue. Un homme seul, allongé au milieu d'un champ, on s’attend à du grabuge…
Le tracteur est surtout là pour détourner l’attention avant le coup de grâce. Grâce au tracteur, le temps d’un instant, le spectateur ne saura plus quoi penser. De plus, d’un point de vue symbolique, on peut aussi discerner quelque chose d’intéressant : le tracteur par l’avant, la moissonneuse par l’arrière, c’est comme si ce que Jean-Eudes avait tant cherché à fuir l’avait rattrapé et encerclé. Notons justement que quelque part, c’est lui qui s’est laissé reprendre ; ben oui, pour rappel, il est dans l’Yonne, donc en France ! Et même si certains autochtones peuvent le laisser penser, on n’est pas non plus dans un trou perdu au milieu de la pampa... Bref, encore et toujours l’histoire de la demi-mesure.
Pour ce qui est du titre, il fut trouvé par le sieur Mura au sortir de table. Il m’a dit au beau milieu d’une conversation quelconque « Coupure ». J’avoue avoir été jaloux de ne pas l’avoir trouvé moi-même. De fait, ce titre résume plutôt bien l’histoire : la coupure que cherche à effectuer Jean-Eudes avec sa triste vie et bien évidement, la/les coupures que va lui infliger la moissonneuse.
Tournage
Le film peut être divisé en quatre grandes séquences : La vie du citadin, le périple, la campagne et la mort.
Tel que je vois les choses, la vie du citadin sera composée de plans très courts, sans paroles, comportant chacun une péripétie. Le tout se fera dans un environnement très urbain surplombé de gris nuages.
Le périple sera une séquence courte. Quelques plans extérieurs, le défilement de la route, le ciel qui bleuit tandis qui que l’environnement verdit.
Les scènes de campagne se feront sous un soleil éclatant. Il sera intéressant d’insérer quelques plans de village désert (Marchais-Bêton un dimanche après midi par exemple) histoire de rappeler que l’on est encore dans un endroit « civilisé » mais que bon… c’est l’Yonne quoi…
La mise à mort se fera sans fioritures. Une giclée de sang sur la moissonneuse et pis c’est tout. Restons sobres.